QI GONG, UNE MEDITATION EN MOUVEMENT
Parcours et réflexions de Dominique BANIZETTE
« Les poissons vivent dans l’eau et n’en ont pas conscience. Les humains vivent dans le royaume du Tao et l’ignorent. » Tchouang-tseu.
Trop occupés, trop préoccupés en effet par nous même, par nos soucis, nos difficultés ou nos joies nous ne percevons que peu la beauté et la grandeur de ce qui nous entoure. Préoccupés « d’avoir » nous ne voyons même plus que nous avons déjà tout. Préoccupés de paraître nous perdons la qualité d’être. Occupés dans « l’agir » nous ne savons plus nous arrêter pour simplement sentir, regarder, écouter, goûter l’âme des choses. Il est pourtant des moments où la nature nous imprègne tellement fort de son essence propre que nous ne pouvons éviter de la percevoir.
Vous savez, le sentiment d’oppression, d’enfermement, de tristesse, de nostalgie que vous éprouvez lorsque depuis des jours et des jours un ciel gris, lourd et bas vous pèse au dessus de la tête. C’est comme si vous étiez retranché à l’intérieur de vous même dans l’attente de jours meilleurs, dans l’attente de la lumière, de la chaleur, de la couleur car, sous un ciel comme celui-là, tout devient uniformément gris; chacun s’enferme en lui même, dans son univers, derrière ses portes, derrière son masque. Et puis soudain dans cet océan de gris, une trouée apparaît délivrant un grand pan de ciel bleu par lequel s’engouffre la lumière du soleil.
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Instantanément vous respirez, vous vous détendez, votre visage se lève vers ce bout d’univers que vous apercevez entre les nuages et vous souriez: vous vous sentez heureux. C’est alors que vous percevez le vent léger qui disperse les nuages et préside à ce changement soudain et vous savez de façon intime que la nuit sera étoilée et que demain sera lumineux.
Ma rencontre avec le Qi Gong a quelque chose de semblable à cet événement météorologique.
Depuis toujours, et, quand je dis toujours cela remonte à la petite enfance, je sentais comme une attente dans ma vie. Non pas que j’attendais quelque chose car j’ai plutôt une tendance à aller vers, mais c’était un peu comme si ma vie (une vie d’étude, de recherche, de découverte) se déroulait sous un ciel gris et que donc obligatoirement un jour une trouée apparaîtrait, quelque chose s’ouvrirait….. La lumière est venue un matin de printemps dans une chapelle désaffectée où se déroulait un stage de Qi Gong auquel j’avais été conviée. Je ne connaissais à cette époque que peu de chose du taoïsme et encore moins des disciplines corporelles s’y rattachant. Ce jour là pourtant, j’ai senti que dans les profondeurs de mon être naissait un sentiment de plénitude, d’unité, qui m’offrait un bonheur sur lequel je n’avais encore jamais abordé. Quelque chose de profondément calme, paisible et pourtant d’extrêmement puissant se faisait jour en moi et ouvrait mon être à cette dimension de l’humain que je sentais enfouit au fond de moi sans pouvoir la laisser apparaître: la joie. La joie d’être là debout sur cette terre, en harmonie avec moi-même et avec l’univers. Exactement celle que l’on éprouve à l’instant où le soleil apparaît entre les nuages, ou, lorsque pendant quelques minutes notre regard se pose sur le vol libre et majestueux d’un oiseau dans le ciel, ou encore lorsque, mu par une force qui nous dépasse, on se sent contraint d’arrêter sa voiture et de sortir un moment pour s’unir à la beauté sereine d’un paysage. A cet instant on est en parfaite harmonie avec sa condition d’être humain. Tout ce qui fait notre stress s’évanouit, le corps se détend, la respiration s’apaise, le visage s’ouvre, on est l’oiseau, on est le paysage, on est tout simplement…. vivant….
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On peut lire dans les manuels que le Qi Gong se pratique sous forme de mouvements lents, non musculaires et harmonieux en accord avec la respiration. Je dirais plutôt que le Qi Gong est l’art de retrouver en soi son mouvement naturel. Si vous regardez jouer un bébé vous pouvez constater que ses mouvements sont effectivement lents, sans tensions musculaires et harmonieux, sa respiration est profonde et paisible. Pratiquer le Qi Gong (mon maître dit : « play Qi Gong ») c’est se mettre dans les conditions favorables extérieures et intérieures qui permettent de retrouver cet état de détente sous-jacent à notre nature humaine; retrouver le plaisir de bouger en harmonie avec son corps, en harmonie avec la nature, en harmonie avec le mouvement de l’univers inscrit dans notre corps; retrouver le plaisir de respirer avec aisance, amplitude, et arriver à percevoir que la respiration n’est pas seulement une question d’air, d’oxygène et de gaz carbonique mais qu’elle est aussi une ouverture du corps aux énergies qui nous entourent. Que la respiration est une union parfaite de chaque cellule de notre corps avec notre nature spirituelle, avec l’essence de l’univers.
C’est pourquoi il est tellement agréable et important de pratiquer le Qi Gong dehors car il devient alors possible de se laisser imprégner de l’énergie de la nature. Cette phrase : « vous avez les pieds profondément enracinés dans le sol, le sommet de la tête accroché à la voûte céleste, votre axe est vertical………… » qui revient comme un leitmotiv dans la pratique, prend alors sa véritable dimension. La nature est, par essence même, en harmonie avec la vie, notre regard s’imprègne de sa beauté, notre corps et notre esprit s’apaisent dans sa contemplation. Pratiquer dans la nature revient à se mettre simplement en phase, en ouverture, en réceptivité et à laisser notre être se relier à sa source. Lama Dongzen disait :  » ce que le regard contemple, l’homme le devient ».
L’art du Qi Gong, c’est l’art de ne rien faire ou d’en faire le moins possible. C’est l’art d’être là, simplement, assis, debout, ou en mouvement, en toute présence et attention mais sans tensions, sans intentions . Etre là, dans la détente absolue du corps et de l’esprit, en toute conscience. Etre là simplement, ouvert à tous les possibles.
On est l’observateur, le témoin de sa propre pratique, de ses propres gestes, de son immobilité, de ses tensions, de ses pensées.
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Je dis souvent à mes élèves que tel un créateur de dessin animé, ils devraient être capables de dessiner leur corps en mouvement millimètre par millimètre, tant dans le mouvement extérieur du corps physique que dans le mouvement intérieur du corps énergétique ou dans le mouvement de leur pensées.
Cette capacité d’attention dans la pratique se prolonge alors dans la vie et l’on se rend compte au bout de quelque temps que l’on acquiert du recul par rapport à ses émotions, par rapports aux événements. On se sent plus détendu et plus présent à la fois, plus calme et plus serein, on est moins engagé mais on est plus efficace car on est plus consciemment présent de soi même, des autres, des événements. Le regard s’est élargi. La qualité de notre observation va développer aussi en nous la possibilité d’affiner notre regard intérieur et par exemple de prendre contact avec nos émotions, moins en s’identifiant à elles qu’en les regardant vivre. J’éprouve de la peine, je vis la peine, mais je ne suis pas la peine. J’éprouve de la colère, je vis la colère, mais je ne m’identifie pas à elle, je ne suis pas la colère. J’éprouve de la joie…….et là, on peut sentir une certaine réticence à poursuivre la même idée car l’être humain aime s’identifier à ses émotions et surtout à la joie. Mais si vous êtes la joie, vous n’avez pas le recul nécessaire pour la contempler et l’apprécier pleinement et à l’instant où elle s’arrête vous disparaissez vous aussi, vous êtes anéantis. Alors que si vous vivez la joie en sachant qu’obligatoirement elle va se transformer, vous pouvez la vivre intensément, et quand elle se transforme vous êtes toujours l’observateur qui regarde la transformation. Il est difficile de croire que l’on puisse vivre une émotion sans s’identifier à elle. Pourtant, observez vos jeunes enfants, aussi sourires l’instant d’après qu’ils étaient larmes l’instant d’avant. Non figés dans l’émotion, ils peuvent vivre la mutation sans aucun problèmes, et pourtant quoi de plus beau et de plus vrai qu’un enfant qui rit? quoi de plus poignant qu’un enfant qui pleure?….. Or, nous portons tous cela en nous car nous sommes à chaque instant en perpétuelle mutation. Nous sommes en chemin sur une spirale d’espace-temps qui jamais ne s’interrompt, même si figés dans nos tensions musculaires, psychiques ou émotionnelles, figés dans notre peur de l’inconnu, nous essayons désespérément de rester sur place.
« A chaque instant tout est possible. » cette phrase prononcée par un de mes enseignants, a marquée ma vie d’une empreinte indélébile.
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A chaque instant tout est possible!!! à chaque seconde que nous vivons, à chaque millimètre que nous parcourons, tout l’univers est là présent en nous, tous les possibles sont là disponibles, il suffit de s’ouvrir, il suffit d’accepter de laisser rentrer la vie en nous. Par la pratique du Qi Gong on peut entrer en contact avec cette dimension là de la Vie. Lorsque vous êtes dans la détente musculaire, en contact avec votre verticalité d’être humain, que vos racines plongent profondément dans la terre et dans le ciel, si vous êtes simplement dans l’attention vous vous rendez compte alors que ce n’est plus vous qui respirez mais que vous êtes respirés. Ce n’est plus vous qui bougez mais votre mouvement est issu d’une harmonie dans laquelle vous vous inscrivez, harmonie qui englobe la totalité de votre corps physique et énergétique. Vous pouvez percevoir alors qu’à chaque seconde de temps, à chaque millimètre d’espace que parcourt votre geste, tout l’univers est là présent en vous avec tous ses possibles. Votre champ de perception de l’espace-temps s’élargit, s’amplifie comme si vous étiez dans un film dont l’image se ralentit indéfiniment jusqu’à un arrêt apparent. Il est alors possible de percevoir la plénitude de chaque instant car votre champ de conscience entre en contact avec le chant ample et silencieux de l’univers. Quand vous prenez contact avec cette dimension là de la pratique, il vous est possible de rester un long moment dans une apparente immobilité puisque en réalité vous vous déplacez sur le mouvement de la Vie. Votre corps physique semble statique, il est en fait dans une détente absolue et votre corps énergétique, lui respire, s’ouvre et se ferme dans un rythme qui lui est propre et que vous pouvez reconnaître comme étant celui de la Vie. Pour percevoir cela il suffit seulement de s’arrêter un instant car je ne parle là que de choses très simples que nous portons tous en nous pour les avoir vécues dans la petite enfance. Elles émergent parfois dans notre vie d’adulte, portées par un profond sentiment d’amour, ou par une musique qui nous touche particulièrement…. La première fois que j’ai pu entrer en contact avec cette dimension de la vie, j’étais alors toute jeune pratiquante de Qi Gong. Mon maître, Minoru Hoshino, essayait de nous faire sentir comment construire et renforcer notre oeuf énergétique. Cet oeuf dans lequel nous vivons en permanence et qui ressemble le plus souvent à une maison sans portes ni fenêtres dans laquelle peuvent s’engouffrer les vents des quatre horizons. Nous étions tous très attentifs mais ne sentions pas grand chose. Minoru Hoshino m’a soudain demandé de me mettre très exactement à sa place, c’est à dire de rentrer dans son oeuf. Instantanément j’ai senti une force verticale qui me mettait en contact intime avec le ciel et la terre dans une détente et un bonheur absolus. Je n’étais plus dans la
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dimension seulement physique de l’humain, mon corps s’inscrivait dans un mouvement spiralé que je pouvais sentir pleinement et pourtant j’avais conscience de ne pas bouger musculairement. J’étais dans un espace extrêmement doux, puissant et d’une dimension sans limite. Je ne sais absolument pas combien de temps je suis restée ainsi dans cette perception car dans cette dimension là, le temps n’est plus. Quand j’ai ouvert les yeux tout le monde était en train de travailler, le cours avait repris. J’ai remercié Minoru Hoshino, je le remercie encore aujourd’hui. J’avais conscience d’avoir vécu un instant magique, je ne percevais pas encore l’ampleur du chemin qui venait de s’ouvrir devant moi. Bien sur pour retrouver ensuite cette dimension du Qi Gong, il m’a fallu des années de pratique; mais j’avançais sur un chemin dont je connaissais une des étapes.
……..Les premières pierres que l’on rencontre généralement sur ce chemin sont: la détente musculaire et articulaire, le lâcher du bassin, le lâcher des épaules, l’enracinement des pieds, la perception de l’axe et son ancrage vertical, le placement de la respiration…..Pour cela il existe de nombreuses techniques, de nombreux exercices que l’on peut utiliser pour défaire les tensions accumulées pendant des années parfois des dizaines d’années.
Les chinois sont très imaginatifs et, en deux ou trois mille ans d’existence de cet art, ils ont eu le temps de mettre au point un grand nombre de Qi Gong et d’exercices spécifiques capables de s’adapter à la difficulté ou au plaisir de chacun. C’est pourquoi il est possible de pratiquer le Qi Gong dans n’importe quelle situation que nous propose la vie. Que l’on soit en pleine forme, gravement malade ou simplement fatigué, que l’on soit dans la tristesse ou dans la joie, dans l’inquiétude, la dépression ou la sérénité, dans le stress ou la détente, chacun trouve le Qi Gong qui correspond à sa nature fondamentale. Ce Qi Gong va amener l’équilibre si il y a déséquilibre, l’harmonie si il y a accord avec soi-même. On dit que le Qi Gong guérit. On l’appelle d’ailleurs parfois gymnastique de santé chinoise C’est vrai que la pratique de cet art amène une détente, un équilibre et une force intérieure qui aide à enrayer le processus de déséquilibre qu’est la maladie. C’est vrai qu’il existe des Qi Gong adaptés à certains types de maladies tout comme il existe des Qi Gong d’harmonisation générale ou des Qi Gong spécifiques à l’éveil spirituel ou à la méditation.
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Mais pratiquer le Qi Gong c’est avant tout harmoniser un geste (immobile ou en mouvement) avec une respiration, une concentration et une visualisation. Pratiquer le Qi Gong c’est donc accepter de rentrer dans un état particulier, dans une présence à l’intérieur de soi, renouer avec son être véritable, oublier un instant le stress de la vie sociale, les soucis du moment, les préoccupations extérieures, pour se relier à soi-même. Le processus d’évolution ou de guérison se fait donc par la puissance de l’association du geste harmonisé avec la respiration, la concentration et la visualisation mais il se fait aussi parce que, pendant un laps de temps plus ou moins long, on accepte de s’arrêter, d’oublier ses soucis, de reprendre contact avec soi-même et de se remettre en accord avec le mouvement générale de la vie.
On se rend compte alors qu’en se rencontrant soi-même, on rencontre aussi l’autre et que l’ouverture à la vie intérieure loin de vous fermer en vous même vous ouvre les porte de la communication. C’est ainsi qu’après des années de pratique solitaire, l’envie est venue de pratiquer avec d’autres, de communiquer dans la pratique. Un peu comme les musiciens d’un orchestre, jouant, chacun avec un instrument différent une partition de la même oeuvre, créant ainsi une harmonie musicale, susceptible de nourrir l’oreille, le coeur et l’âme, au point de s’oublier soi-même et de passer la porte d’entre les notes pour entrer dans le grand silence….. Puis tout doucement, l’envie de faire découvrir, de faire partager ce monde qui était devenu mien a grandit en moi, et l’idée de l’enseignement a germée chaudement nourri par la pratique. Ce que l’on découvre alors de passionnant dans l’enseignement, c’est que l’on peut ouvrir son écoute intérieure pour arriver à percevoir la nécessité du groupe que l’on a devant soi et à travers le groupe le besoin de chacun. Trouver le mot, l’image, l’exercice, la position qui va permettre de sentir la détente et de pouvoir lâcher telle ou telle tension particulière. Trouver son appartenance à la terre, sentir par l’intermédiaire des pieds la totalité de l’être, rentrer en contact intime avec le sol et laisser l’énergie de la terre monter en soi. Trouver le rythme respiratoire ample, paisible et profond qui permet de se mettre en liaison avec son centre. Connecter les trois dan tien , trouver son axe et ainsi mettre en communication, à l’intérieur de soi le ciel avec la terre, ce qui permet non plus de prendre la position dites de l’arbre mais d’être l’arbre.
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Les moyens offerts sont multiples:
Toilette énergétique, massages, étirements, ondulations, position de l’arbre, cavalier, Qi gong en mouvement, Qi gong statiques, respirations, sons, jeu des cinq animaux, assise…
Le but est unique: s’arrêter……
S’arrêter dans un monde où tout fuit vers l’avant…. S’arrêter et simplement être là, éveillé à ce qui est, en ouverture, en appartenance à notre source.
S’arrêter et percevoir que l’on n’est pas isolé, que l’on n’est pas séparé, mais que l’on est une infime partie de l’immensité de la Vie.
Une partie de ce texte a été publié dans la revue « Terre du Ciel » n°25 en septembre 1994

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